Décédé en juin 2015, l’académicien Evgueni Primakov a entretenu, tout au long de sa carrière, des contacts avec le KGB.
Primakov n’était pas un officier du KGB : sa carrière ne correspond absolument pas. Après avoir commencé sa carrière à l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales (IMEMO) de l’Académie des sciences soviétique, puis à la Pravda comme correspondant en Egypte avant de devenir directeur adjoint de l’IMEMO, directeur de l’Institut d’Orient puis directeur de l’IMEMO, député, et membre du conseil de sécurité d’URSS. En septembre 1991, l’académicien Primakov est nommé à la tête du renseignement extérieur soviétique.
Il n’était pas dans les habitudes du KGB de placer, à cette époque, des officiers de son service, à des postes aussi élevés. En revanche, et Evgueni Primakov le reconnaît volontiers dans ses différents ouvrages, il avait des contacts réguliers avec des officiers du KGB travaillant sur le Moyen-Orient, sa zone de prédilection.
Depuis son passage comme correspondant de presse en charge du Moyen-Orient, depuis l’Egypte (1965-1969), Primakov a fortement développé ses contacts au sein des pays du Moyen-Orient : il rencontre le leader kurde Moustapha Barzani en 1966, Saddam Hussein en 1969, des responsables syriens en 1965, soudanais en 1967. Des contacts qu’il prendra soin de cultiver, pour ses déplacements dans la région, et pour les missions que lui confie soit le journal (étudier la situation en Egypte en 1971) soit le Comité central du Parti communiste (contacts avec les autorités israéliennes ; rencontre avec le fondateur du FPLP George Habache en 1970 pour lui intimer l’ordre d’arrêter les détournements d’avions, au Liban à plusieurs reprises pour rencontrer les différentes parties à la guerre civile, au Kurdistan, au Yémen, avec Yasser Arafat).
Car Primakov a, et ce depuis les années 60, a servi d’émissaire pour les contacts confidentiels entre l’URSS (puis la Russie) et les dirigeants du Moyen-Orient. C’est dans ce cadre que des officiers du KGB l’accompagnaient : de 1971 à 1977, Primakov négocie avec les autorités israéliennes le rétablissement des relations diplomatiques soviéto-israéliennes, rompues depuis 1967, ainsi que sur le processus de paix au Moyen-Orient. Il est, pour sa rencontre, accompagné en Israël par Vladilen Fedorov, alors responsable du département Moyen-Orient (8ème département) du renseignement extérieur du KGB (Fedorov est décédé en mai 2003. Il avait entre autres servi comme Rézident à Bagdad de 1962 à 1967 et Ankara à partir de 1969). Par la suite, c’est Youri Kotov (alors chef de la section Jordanie/Israël/OLP/Liban au 8ème département, puis Rézident en Egypte à la fin des années 70) qui accompagne Primakov dans ses tractations avec Tel-Aviv. A noter que Kotov confirme sa participation aux négociations avec Primakov, dans un long article disponible ici (https://wtcmoscow.ru/pressroom/prodolzhaya-rabotu-e-m-primakova/neizvestnyy-primakov/yuriy-kotov/) A plusieurs reprises, c’est Rostislav Yuschuk qui l’accompagne, soit lors d’un dîner avec le Roi de Jordanie en 1975 (Yuschuk est alors rézident du KGB en Jordanie) ainsi qu’en Syrie en 1983 pour rencontrer Yasser Arafat (Yushchuk est alors adjoint du responsable du 18ème département du renseignement extérieur). D’autres officiers accompagneront Primakov dans ses pérégrinations, comme avec le Rézident adjoint à la ligne KR (contre-espionnage) de la rézidentura du KGB à Beyrouth Youri Perfiliev, pour rencontrer Dany Chamoun, fils de l’ancien président Camille Chamoun ; en en 1990 avec Vyatcheslav Gurguenov, alors adjoint du directeur du renseignement extérieur chargé de superviser l’Afrique et le Moyen-Orient, pour rencontrer Saddam Hussein après l’invasion du Koweit ; ou en 1971, quand il rend compte à l’ambassadeur soviétique en Egypte Vinogradov et au rézident du KGB Vadim Kirpitchenko (qu’il a connu lors de ses études à l’Institut d’Orient) de la volonté de Sadate de chasser les troupes soviétiques du territoire égyptien.
Il serait juste de noter que, à de multiples reprises,des diplomates soviétiques participeront aussi aux entretiens que Primakov mène avec ses homologues moyen-orientaux, comme le diplomate (et futur ambassadeur en Jordanie) Youri Gryadounov pour sa rencontre avec Georges Habache ; ou Viktor Possouvaliouk pour ses rencontres avec les leaders kurdes.
Même après la fin de sa carrière politique, Primakov continue ce rôle d’intermédiaire de haut vol, comme le montre sa visite à Saddam Hussein en 2003, ses rencontres avec Rafic Hariri et Bachar El-Assad en février 2005 ; au Yémen- en 2005 toujours- pour rencontrer le Président yémenite ; à Téhéran en 2008 pour convaincre les autorités iraniennes d’instaurer un moratoire sur l’enrichissement de l’uranium
A noter, pour terminer, que quand Primakov devient directeur du renseignement extérieur en septembre 1991- poste qu’il occupe jusque janvier 1996, il n’oublie pas les anciens du KGB qu’il a côtoyé lors de ses différentes missions : Youri Perfiliev deviendra représentant du SVR en Espagne, jusqu’à son départ à la retraite en 1995 ; Rostislav Yushchuk représentant en Grande-Bretagne ; Vladimir Zaytsev deviendra représentant du SVR en Yougoslavie (1993-1997) ; Vadim Kirpitchenko responsable du groupe des consultants auprès du directeur du SVR ; Vyatcheslav Gurguenov directeur adjoint du SVR pour la partie opérationnelle jusqu’à son décès en 1994.