Ce service est peu connu, et pourtant ! Il existe depuis bientôt un siècle. Au sein du contre-espionnage militaire russe, le renseignement extérieur s’est toujours retrouvé en première ligne dans les conflits armés auquel la Russie prenait part.
Le contre-espionnage militaire russe-actuellement 3ème Département du FSB-a pour missions la surveillance des troupes et de leur moral, mais aussi la lutte contre les services de renseignements étrangers[1]. La mission de renseignement extérieur, moins connue, est pourtant particulièrement active-quitte à faire concurrence au GRU- et ce pour deux raisons :
La première est pratique, le contre-espionnage militaire d’un pays ne peut se contenter de protéger les secrets militaires et de poursuivre les espions adverses ; il se doit aussi d’anticiper, de se montrer offensif. C’est ce que fait le contre-espionnage militaire russe dès la création de la Tchéka, et cette fonction n’est pas niée, bien au contraire : les ouvrages officiels regorgent d’exemples d’officiers ou d’informateurs des OO (« Osobiyé Otdeli », Sections Spéciales, nom donné aux services du contre-espionnage militaire russe) envoyés infiltrer les rangs de l’Armée Blanche durant la Guerre civile ; ou dans les écoles du renseignement nazi durant la Seconde Guerre mondiale[2].
La deuxième raison était organique : lors de sa formation, le renseignement extérieur de la Tchéka était un service dépendant de la Section Spéciale. A l’origine, dès le 6 janvier 1919, les OO sont chargés du travail de renseignement à l’étranger. Au printemps 1920, pour assurer une meilleure coordination du travail de renseignement extérieur, est créé un département du renseignement extérieur, toujours au sein du contre-espionnage militaire, et ce jusqu’au décret 169 signé par Felix Dzerjinsky, le 20 décembre 1920, qui fait du service de renseignement extérieur un service à part entière[3].
Toutefois, cette fonction de renseignement extérieur n’est pas limitée aux périodes de « guerre chaude » : lors de la Guerre dite froide, le renseignement extérieur au sein du contre-espionnage militaire existe, et se structure : Suite aux émeutes de Berlin en 1953, est créé au sein du OO auprès des Troupes soviétiques en Allemagne de l’Est un 3ème département, en charge du renseignement extérieur. Ce service participe également aux enquêtes menées par le contre-espionnage militaire contre les informateurs des services secrets adverses et du recrutement des informateurs étrangers[4], quitte à faire concurrence la 1ère Direction Principale du KGB (Renseignement extérieur) et au GRU (renseignement militaire). C’est sans doute ce service qui réussit le recrutement du soldat britannique Geoffrey Prime, ensuite affecté au GCHQ[5]. Prime rencontra ensuite ses contrôleurs à l’étranger, principalement à Vienne
En 1971, c’est au sein de la 3ème Direction du KGB (Contre-espionnage militaire) qu’est créé un 3ème département, chargé de centraliser la mission de renseignement extérieur. Durant l’URSS, tous les chefs de ce département ont précédemment faits carrière au sein du renseignement extérieur du contre-espionnage militaire en Allemagne de l’Est[6], voire l’ont dirigé, ce qui montre que la RDA est un poste clé.
Des officiers de ce département sont également affectés au sein des OO dans plusieurs régions militaires soviétiques, comme en Asie du Sud-Est, ou dans la Baltique.
On retrouve aussi ces officiers en poste en Afghanistan[7] : selon Mikhail Dianov, qui a servi au sein de cette unité (3ème section de l’OO du KGB pour la 40ème Armée), les missions de son service étaient : collecte d’information auprès des afghans russophones, pour obtenir, ainsi, des informations sur les activités des services secrets adverses et des bandes armées , ainsi que leurs informateurs ; leurs opérations contre les troupes soviétiques et le gouvernement afghan ; infiltration des services secrets adverses.
Les officiers du 3ème département seront également impliqués dans le conflit tchétchène : selon un ancien transfuge du FSB, en 1995, une équipe du département est envoyée en Tchétchénie pour liquider le Président indépendantiste Djokar Dudayev[8].
Ce service existe toujours, il s’agit du 3ème département du DVKR (Départament Voyennoy KontrRazvedki- contre-espionnage militaire) du FSB[9]. Il est à noter que le responsable, jusque 2015, du DVKR, Alexandre Bezverkhnii, a dirigé ce fameux 3ème département, dans la deuxième moitié des années 90[10].
Notons, pour conclure, que nombres de différents services, au sein du KGB, se livraient au renseignement extérieur, au grand dam de la 1ère Direction Principale, chacun dans sa spécialité : le 14ème département de la Deuxième Direction Principale (contre-espionnage) créé dans les années 70 se spécialisait dans les « double jeux » avec les services adverses, y compris parfois à l’étranger ; les 4ème (sécurité dans les transports) et 6ème Directions du KGB (sécurité économique et industrielle) demandaient à leurs informateurs, envoyés à l’étranger, de leur faire des comptes-rendus sur leurs séjours chez l’ennemi ; tandis que la 5ème Direction, spécialisée dans la lutte contre les dissidents, n’a pas hésitée à envoyer certains agents à l’Ouest, pour suivre ces milieux.
[1] Dans une interview donnée en novembre 2010 à la publication semi-officielle du FSB « FSB : za i protiv » (FSB : pour et contre), le directeur du contre-espionnage militaire du FSB Alexandre Bezverkhnii indiquait les missions de son service : assurer la sécurité des forces armées russes ainsi que des organisations qui en dépendent ; information des responsables du FSB et du Ministère de la Défense quant aux problèmes au sein des Forces armées, avec une attention particulière quant aux capacités de préparation et de combat des troupes, état moral et psychologique des troupes ; lutte contre le terrorisme, le vol d’armes et d’explosifs, la corruption, le trafic de drogues, contre-espionnage, protection des secrets.
[2] Quelques exemples d’ouvrages : « Les contre-espions militaires. Les Sections spéciales de la VéTchéKa-KGB ont 60 ans ». (Voyenniyé kontrrazvedchiki. Ossobim Otdelam VéTchéka-KGB 60 Liét). Editions Voyennizdar. 1979 ; « Les tchékistes militaires » (Voyenniyé Tchékistii), Sergey Ostryakov, 1979, Editions Voyenizdat ; « Les contre-espions militaires biélorusses. Destins, tragédies, victoires… » (Voyenniyé kontrrazvedchiki Belarussii. Sudbi, tragedii, pobedii..), Valery Nadtatchayev, 2008, Minsk, Editions Kavaler ; « Cela n’était pas mentionné… Les notes d’un tchékiste de l’armée » (Ob etom ne soobchaloss... Zapisski armeyskovo tchékista). 1984. Mikhail BeloOussov.
[3] Historiographie officielle du SVR, disponible sur le site Internet de l’institution (http://svr.gov.ru/history/stage01.htm)
[4] Voir sur le sujet les mémoires de Arkadi Kornilov, « Berlin : la guerre secrète des deux côtés de la frontières. Notes d’un contre-espion militaire » (Berlin : Taynaya Voyna po obié storonii granitsii. Zapisski Voyennovo kontrrazvedchika), Editions Kutchkovo Polié, 2009. En poste dans les années 50 et 60 au sein du 3ème département en RDA, il raconte aussi bien les recrutements de « taupes » dans le dispositif adverse que la traque des citoyens allemands et soviétiques travaillant pour la CIA ou le BND.
[5] Le KGB dans le monde. Christopher Andrew, Oleg Gordievsky. The Defense of the realm.The authorized history of MI5. Christopher Andrew.Penguin books. 2010.
[6] Les dirigeants du 3ème département du contre-espionnage militaire du KGB, de 1972 à 1991, étaient : Mikhail Zimbulatov (1972-1980) ; Vladimir Shirokov (1981-1988) ; Yuri Yarovenko (1988-1991). Tous ont travaillés, durant leur carrière, au sein du 3ème département de l’OO auprès des troupes soviétiques en RDA.
[7] « Le contre-espionnage militaire du KGB d’URSS en Afghanistan. Souvenirs des officiers du OO du KGB d’URSS pour la région militaire de Léningrad 1979-1991». (Voyennaya kontrrazvedka KGB SSSR v Afganistanié. Vospominaniya sotrudnikov Osobovo Otdela KGB SSSR po Leningradskomu voyennomu okrugu 1979-1991). 2010. Editions SPB.
[8] « Le FSB fait exploser la Russie » (FSB vzrivayet Rossiyu). Alexandre Litvinenko, Yuri Felshtinsjy. Deuxième édition.
[9] « Voyennaya kontrrazvedka 1918-2010 » (Contre-espionnage militaire 1918-2010). Alexandre Bondarenko. Editions Molodaya Gvardiya.2011.
[10] « Août 1991 et pas que.. Pensées d’un contre-espion militaire ». (Avgust 1991 i né tolko o niom… Razmishlenii Voyennovo kontrrazvedchika ). Nikolay Rijak. 2011. Editions Artstil-Polygraf.